Il faut bien que jeunesse se fâche

Manifeste pour faire entendre notre désir de justice sociale

 

« Je suis en colère, mais pas une colère noire. Je veux surtout poser des actes pour que ça change ».

«On va être un caillou dans votre chaussure, que ça vous plaise ou non. Nous devons avoir une place pour nous faire entendre ».

 

 

Ce manifeste a été réalisé par un collectif d’une cinquantaine de jeunes adultes entre 18 et 30 ans issus de toute la France. Toutes et tous concerné.es ou indigné.es par le problème des discriminations et de la précarité économique, nous avons choisi les problèmes majeurs rencontrés dans nos vies. Avec AequitaZ, nous en avons fait une analyse et choisi des
propositions que nous voulons faire entendre et mettre en débat.

Ce manifeste est avant tout un appel :
• Un appel pour mobiliser les jeunes en colère qui n’attendent pas que jeunesse se passe mais bien qu’elle se fâche !
• Un appel pour toutes celles et ceux qui veulent rejoindre le mouvement et organiser des actions sur leur territoire.
• Un appel à poursuivre le débat et affiner nos propositions.
• Un appel aux organisations et institutions locales et nationales

Pourquoi faut-il que jeunesse se fâche ?

 

  • Pour dire stop à une société qui précarise celles et ceux qui sont l’avenir du pays

En France, plus d’un.e jeune sur cinq de 18 à 25 ans vit sous le seuil de pauvreté. 1,5 millions de jeunes en France ne sont ni en emploi, ni en formation. Au travail comme en études, nous sommes la classe d’âge la plus concernée par la précarité économique et avons du mal à accéder à nos droits.

  • Pour faire reculer le racisme et les discriminations en France

Défavoriser une personne en raison de son origine réelle ou supposée ou de son apparence physique pour accéder à un emploi (ou un logement, un service public…) est un des critères relevant de la discrimination et donc interdit par la loi. Mais la loi ne suffit pas à abolir ces pratiques. La discrimination est une « expérience incertaine » dont on a du mal à définir les contours, qu’on vit souvent seul.e et qui nous affaiblit durablement. Les recours, la protection des victimes et la condamnation des coupables est un parcours du combattant que peu de jeunes entreprennent. Mais le racisme n’est pas une fatalité.

  • Pour prendre notre juste place dans le débat public

23 député.es sur 577 ont moins de 30 ans. Parmi elles et eux, 70% sont des cadres ou exercent des professions intellectuelles supérieures. La parole des moins de 30 ans est encore trop souvent restreinte à des espaces de consultation sur des sujets qui sont rarement choisis par les jeunes. Comment faire confiance à des institutions qui ne nous représentent pas, ne nous connaissent et ne nous écoutent pas ? Nous voulons, par ce manifeste, affirmer notre parole comme citoyen.ne à part entière. Nous voulons en être. Nous voulons agir, être entendu.es et débattre de ce qui compte vraiment pour nous.

Nos colères et nos propositions

 

Nos constats, nos témoignages, nos analyses et nos propositions sont le fruit d’un travail collectif mené en 2023. Dès maintenant, nous partons à la rencontre de décideurs locaux et nationaux, d’acteurs de la société civile et d’autres jeunes pour mettre en débat ces sujets et faire entendre nos propositions.

01. Vivre dans l’insécurité alors que l’on devrait construire son avenir

« Démarrer dans la vie active, ça demande un certain revenu pour pouvoir se payer un logement, le permis… si tu n’as pas des parents qui suivent financièrement, tu es obligé de rogner sur certains projets. »

« Ma famille est pauvre, alors depuis que je bosse, je participe aux frais. Au final, ça a fait baisser les aides sociales que touchaient mes parents car on avait un revenu plus important…Du coup, mes parents
deviennent dépendants de mes revenus et je ne peux pas mettre de côté pour prendre un appartement ou m’acheter une voiture. Y’a pas de sortie possible de ces galères financières. »

 

Les raisons de la colère

 

  • Une citoyenneté à deux vitesses

En France, la majorité civile est à 18 ans mais on a accès aux droits sociaux assez tardivement. Jusqu’à 25 ans, les aides aux familles sont généralement dirigées vers nos parents, et tiennent compte de leurs revenus, comme les bourses d’études par exemple. Dans d’autres pays, la majorité sociale est à 18 ou 20 ans.

  • Des aides sociales trop faibles pour prendre son indépendance

Par ailleurs, le niveau des aides sociales que touchent nos parents est faible pour soutenir la famille et le jeune qui veut prendre son autonomie (formation, permis, logement…). Dès qu’un.e jeune qui habite chez ses parents commence à travailler, dans un système familialisé, les salaires du jeune sont intégrés dans les revenus du foyer et font baisser le montant des aides. Sur le principe, c’est normal, mais comment épargner pour préparer son départ dans ce contexte ?

  • La jeunesse, classe d’âge malmenée

Contrairement à la période des « 30 glorieuses », l’étape de vie entre la sortie de la formation et l’installation dans un emploi pérenne peut durer 10 à 15 ans. L’âge moyen du premier emploi stable est désormais 28 ans. Il faut prendre en compte ces changements de société comme l’allongement des études et la précarisation du marché du travail qui touche plus particulièrement les jeunes. La précarité fait échouer des projets de vie et renoncer à prendre des risques intenables sans davantage de sécurité matérielle et financière.

  • L’égalité des chances est un mythe

On n’est pas tous sur la même ligne de départ, l’égalité des chances est un mythe. En France, les inégalités de revenus se transmettent de génération en génération plus qu’ailleurs. En 2018, on considère qu’il faut six générations pour qu’une personne issue d’une famille pauvre atteigne le niveau de revenu moyen du pays, contre deux ou trois dans les pays scandinaves. Le taux de chômage moyen d’un.e descendant.e  d’immigré.es est de 11,6% là où il est de 6.8% pour une personne sans ascendance migratoire. À niveau scolaire équivalent, trouver un emploi est plus difficile quand on habite dans un quartier pauvre : 28% des non diplômé.es des quartiers en difficulté sont au chômage, contre 16 % hors de ces quartiers.

 

 

L’horizon politique que nous défendons

 

01. Création à l’échelle nationale d’un revenu de solidarité à partir de 18 ans, qui permette de sortir de la pauvreté, ouvert sous conditions de ressources de la personne et sans contreparties.

02. Pour encourager l’Etat à créer ce revenu, développement d’expérimentations par les collectivités territoriales sur la mise en place de revenus jeunes, accessibles sur une durée longue et sans contreparties.

03. Revalorisation des revenus du travail réalisé par des jeunes. En particulier, les revenus perçus dans le cadre de la formation (stages, apprentissages), d’un service civique, ou des emplois de l’animation inférieurs au SMIC.

Sur la mise en œuvre de ces propositions, nous sommes attentif.ves à ce que l’accès à de nouveaux droits pour les 18-25 ans aille de pair avec l’amélioration des ressources des foyers les plus précaires.

 

 

Quelques unes de nos sources et ressources pour aller plus loin

02. Se perdre parmi les aides, galérer pour être soutenu.e

« Je ne sais pas si j’avais trop honte pour me renseigner tout seul mais heureusement que les personnes ressources de mon centre social sont venues me voir sinon je n’aurais pas pu passer mon permis. Je n’avais pas assez de sous, je ne savais pas que des aides existaient. »

« On n’est pas égaux durant nos études. Les étudiants boursiers et les autres, moi si je loupe un partiel, je peux me voir retirer ma bourse et donc fini les études. On n’a pas la même pression sur les épaules. »

 

Les raisons de la colère

 

  • Une multitude d’aides, ce qui favorise le non-recours

APL, LocaPass, garantie Visale, ARE, CEJ, Prime d’activité, aide au permis de conduire, carte jeune dans les transport en commun, Mobili Jeune, bourse sur critères sociaux, bourse au mérite, aide d’urgence du Crous, repas à 1 euros, Carte jeune SNCF, Pass culture, Pass’sport, mutuelle étudiante, Fond d’aide aux jeunes… Il existe une multitude d’aides aux jeunes. Leur point commun : ce sont des aides ciblées (mobilité, étude, logement…), parfois conditionnées (Contrat d’Engagement Jeune) ou encore très localisées car mises en place par une collectivité. Difficile de savoir à quelle aide on peut accéder et à quelles conditions dans ce dédale de dispositifs, d’allocations, de garanties ou de contrats ! Conséquence : le non recours approche les 30% et les raisons principales en sont le manque d’accès à l’information, l’incertitude et le renoncement du fait du manque de stabilité des ressources et enfin l’image négative des aides sociales.

  • Une aide dont les jeunes sont exclu.es : le cas du RSA

Les jeunes de 18 à 25 ans n’ont pas accès au RSA sauf dans des circonstances bien particulières (parent isolé ou justifiant d’au moins deux années de travail à temps plein en amont de la demande). Aucun revenu minimum n’existe à proprement parler pour les moins de 25 ans en France dans notre protection sociale.

  • Des réformes récentes qui affectent beaucoup les jeunes

Les jeunes travailleur.euses ont connu depuis la réforme des APL en 2021, une baisse des aides en moyenne de 1069 € annuels. La méthode de calcul « en temps réel » impacte particulièrement les jeunes travailleur.euses en contrat précaire, CDD ou en intérim qui en fonction de leur déclaration trimestrielle peuvent voir leurs APL fortement baisser sans pouvoir prévoir à l’avance le montant des variations.
Les réformes chômage de 2022 et de 2023 pénalisent les primo-entrant.es sur le marché du travail dans l’accès à l’ARE. Les droits ne sont ouverts qu’après avoir travaillé 6 mois dans les 24 derniers mois et le calcul prend maintenant en compte les emplois à temps partiel et les périodes d’inactivité dans l’année ce qui réduit la durée des aides perçues.

  • Des dispositifs locaux facteurs d’inégalités d’accès aux droits

Même si nous souhaitons, comme dit plus haut, que des collectivités s’engagent pour améliorer le revenu des jeunes, ces aides localisées engendrent des inégalités à l’échelle nationale. Cela doit être un point de vigilance important.

 

 

L’horizon politique que nous défendons

 

01. Informer tout.e jeune qui a 18 ans, sur l’ensemble des droits et des démarches à entreprendre pour y avoir accès.

02. Accéder à ses droits en simplifiant les démarches de demande, en réduisant les délais de traitement et de versement des aides.

03. Prendre des mesures nationales pour cesser d’aggraver la précarité économique des jeunes, sécuriser les revenus des 18 à 30 ans, lutter contre l’augmentation des inégalités territoriales entre jeunes.

 

Quelques unes de nos sources et ressources pour aller plus loin

 

03. Être discriminé.e au travail en raison de son origine réelle ou supposée

« J’ai fait une grande école de commerce. Je finis major de promo, pourtant au moment de postuler pour des stages, mes candidatures sont systématiquement refusées. Il y a deux autres étudiants qui comme moi ont un nom à consonance étrangère, ils galèrent aussi pour trouver un stage contrairement à tout le reste de la promo. »

« On m’a dit que les cheveux afro, ça ne faisait pas sérieux pour une vendeuse ; on me l’a répété plusieurs fois. On m’a un peu incitée à me lisser les cheveux. »

 

Les raisons de la colère

 

  • La loi ne suffit pas

La loi de 2008 qui définit précisément les motifs illégaux de traitement dans l’accès à un emploi et qui permet que des sanctions soient appliquées, ne suffit pas à elle seule à faire disparaître les pratiques discriminatoires. Toutes les études, basées notamment sur des testings, démontrent que l’origine supposée est toujours un facteur crucial d’inégalité dans l’accès à l’emploi sur le marché du travail. Les recours légaux sont rares.

  • Toute notre société est abîmée par les discriminations et celles et ceux qui en sont victimes en souffrent parfois profondément et durablement

Les discriminations figent les victimes dans une image construite par le regard négatif des autres. Sans sanction ni réparation pour les victimes, la confiance dans la société s’étiole car on la juge incapable de nous comprendre et de nous protéger. De plus, l’expérience récurrente, parfois depuis l’enfance, d’être exclu.e, stigmatisé.e ou déconsidéré.e conduit à des formes de replis sur soi et même à des affections psychiques telles que dépression et paranoïa

  • Des expériences de discriminations trop rarement dénoncées

Nombre de responsables de discriminations racistes ne sont pas poursuivis pour de multiples raisons. L’expérience de la discrimination raciste est souvent jugée « incertaine ». A l’image des violences sexuelles, les personnes victimes de discrimination peuvent avoir du mal à identifier ou à nommer ce qu’elles vivent ou ont vécu : cet acte est-il bien du racisme ? Les victimes peuvent également ne pas connaître la loi ou se dire que porter plainte ou demander de l’aide ne sert à rien. Dans le milieu professionnel, la crainte des représailles par le licenciement, la mise à l’écart ou l’aggravation du problème est évidemment présente.

 

 

L’horizon politique que nous défendons

 

01. Réaliser et diffuser des campagnes de sensibilisation, réalisées par l’Etat et les pouvoirs publics locaux pour rendre visible la loi et dénoncer les discriminations racistes, à l’image des campagnes réalisées sur la lutte contre les violences faites aux femme.

02. Rendre plus visible et diversifier les recours possibles et les possibilités d’accompagnement pour les personnes victimes de discriminations racistes.

03. Renforcer la lutte contre les discriminations racistes dans le monde du travail (information, formation, études…) par les employeurs.euses publics et privé.es et par les syndicats de salarié.es et d’employeur.euses

04. Mieux quantifier la réalité du problème et rendre plus visibles les statistiques nationales à ce sujet.

 

 

Quelques unes de nos sources et ressources pour aller plus loin

04. Subir le cumul des difficultés pour travailler et étudier quand on est jeune étranger.ère

« Je suis étudiant étranger depuis 3 ans. Au rythme du renouvellement des titres de séjour par la Préfecture, je suis obligé de flirter avec l’illégalité, de prendre des emplois non déclarés en attendant mon renouvellement, alors que j’ai déposé ma demande à temps. Est-ce de ma faute ? Non ! »

« Sans droit au travail, on tombe tout de suite dans la précarité car en tant que jeune étranger, on n’a pas toujours accès aux mêmes aides que les jeunes français. »

 

Les raisons de la colère

 

  • Un système administratif lent et opaque

L’accès aux préfectures est difficile. Les prises de rendez-vous, uniquement en ligne, sont parfois impossibles faute de RDV disponibles. Il y a une mauvaise information sur les délais de traitement des dossiers, leur état d’avancement. Les récépissés attestant de l’enregistrement des demandes de titre de séjour ne sont pas systématiquement remis. Ces délais et blocages nous ralentissent, nous entraînent parfois dans l’illégalité : impossibilité de poursuivre nos études en alternance, perte d’emploi et perte de revenu, emploi « au noir », peur des contrôles de police sans récépissé …

  • L’exploitation au travail renforcée par la précarité administrative des jeunes étranger.ères

De nombreux secteurs d’activités reposent sur le travail d’étranger.ères (restauration, livraison, entretien et nettoyage, BTP …) Ces emplois sont parmi les moins bien rémunérés et avec des conditions de travail reconnues comme très difficiles (horaires décalés ou fractionnés, charges lourdes, gestes répétitifs…). La régularisation du droit au séjour par le travail nous pousse à vivre avec de nombreuses injustices au travail : discrimination sur les tâches les plus difficiles, salaires non versés, travail au noir sous promesse d’embauche, heures supplémentaires imposées… Les recours sont inexistants compte tenu du risque de perdre notre seul revenu et notre seule possibilité d’obtenir ou de renouveler un titre de séjour.

  • Des parcours professionnels ralentis ou des reconversions professionnelles forcées

Les délais et conditions pour avoir une autorisation de travail (délais de traitement par exemple) empêchent des prises de poste rapides et des évolutions professionnelles. De plus, la non reconnaissance de certains diplômes non français ou des expériences professionnelles vécues à l’étranger contraignent à devoir changer de métier ou à reprendre des études en France. Les personnes se tournent généralement vers des métiers moins qualifiés et moins bien rémunérés que ceux auparavant exercés.

 

 

L’horizon politique que nous défendons

 

01. Garantir un meilleur traitement des dossiers de demande de titre de séjour : systématisation de prises de rendez-vous (physique ou en ligne), explication des pièces manquantes avec délais de réponse en cas de dossier incomplet, réduction des délais de traitement…

02. Garantir que l’obtention d’un titre de séjour : salarié.e, travailleur.euse temporaire, travailleur.euse saisonnier.ère, étudiant.e avec la possibilité de travail à temps partiel vaille autorisation de travail.

03. Assurer des conditions d’étude similaires à tous.tes les étudiant.es étranger.ères qu’ils ou qu’elles viennent d’un pays membres de l’Union Européenne ou non : frais d’inscription, accès aux aides financières et alimentaire, accès au logement.

 

Quelques unes de nos sources et ressources pour aller plus loin