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France, travaille ! Réformer le RSA en renforçant la conditionnalité est stigmatisant, inefficace et injuste.

8 mai 2023

Mai 2023. Réformer le RSA en renforçant la conditionnalité est stigmatisant, inefficace et injuste. Depuis 2017, nous animons des collectifs de personnes au chômage ou en situation de pauvreté au sein desquels nous analysons et proposons des pistes pour faire progresser le droit à un revenu minimum garanti et à une protection sociale solidaire, que l’on soit dans ou hors de l’emploi. Fort de ce compagnonnage et de nos travaux de recherche, nous prenons aujourd’hui position sur les réformes actuelles sur la politique d’accès au minimum social qu’est le Revenu de Solidarité Active (RSA).

Aequitaz vous accompagne

« Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser, ou, comme dit Virilio, d’administrer et d’organiser nos petites terreurs intimes. »

Gilles Deleuze

 

Administrer les petites terreurs intimes, c’est sans doute pour le Président Macron et son gouvernement, tenter de mettre dos à dos les smicards, les intérimaires et les allocataires du RSA, en ajoutant la suspicion de « paresse » aux menaces de sanctions pour ces dernier.es. C’est bel et bien distiller l’idée selon laquelle les un.es vivraient sur le dos des autres. C’est enfin répandre l’idée que des solutions techniques et une discipline imposée aux individu.es suffiraient à résoudre le problème, en réalité bien plus complexe, qu’est l’inégalité d’accès à l’emploi.

Le gouvernement a fait du projet de reconfiguration de Pôle Emploi en France Travail et de la mise en place progressive d’un RSA sous condition d’activité, deux totems de la politique sociale de ce quinquennat. Cette nouvelle expérimentation est lancée en 2023 avec 18 départements pour tester le versement du RSA sous condition d’activité (15 à 20 heures hebdomadaire), avec un objectif d’extension progressive dès 2024, alors que le premier rapport d’évaluation est programmé pour la mi-2025. La généralisation est déjà prévue pour 2027. Face à cette réforme, nous souhaitons dénoncer des principes et des actes inquiétants qui viendront stigmatiser et fragiliser davantage le quotidien des personnes qui sont déjà dans la précarité.

 

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Aggraver la conditionnalité en imposant 15 à 20h hebdomadaire ne va pas améliorer l’accompagnement des personnes au RSA

Selon la DREES, près de 53% des personnes au RSA n’ont pas signé de contrat d’accompagnement. Le gouvernement proclame donc sa volonté, par sa réforme, d’y remédier et de mieux accompagner les allocataires. Mais il ne semble pas vouloir s’interroger véritablement sur les effets d’un accompagnement basé, depuis la création du RSA, sur une logique de conditionnalité et qui sera renforcée par l’expérimentation des 15 à 20h d’activité. Le principe du conditionnement existe déjà dans le RSA actuel, car l’allocataire doit signer un contrat d’engagement dit « réciproque » (CER). C’est avec ce contrat que démarre l’accompagnement, et dans lequel s’inscrivent les efforts d’insertion des personnes. Par ailleurs, les contrôles et les sanctions existent et sont présents dans les faits et dans les têtes.

« Je me rends plusieurs fois par mois sur mes espaces Caf et Pôle emploi pour vérifier que je n’ai pas reçu de courrier et qu’il n’y a pas des alarmes qui clignotent partout. En 2022, j’ai été convoqué par le département à un contrôle. Je n’ai pas eu le choix de la date du rendez-vous et je devais apporter de multiples documents dont mes relevés bancaires sur six mois – où s’étale toute ma vie. J’ai trouvé cela tellement intrusif. Depuis, j’ai dû répondre à trois entretiens obligatoires de Pôle emploi qui visaient à contrôler ma recherche de travail. »

Y, allocataire du RSA

Mettre un taquet supplémentaire de 15h à 20h d’activité comme condition supplémentaire à l’accompagnement va-t-il être efficace ? Notons déjà que cette mesure réduit à néant l’idée que des personnes agissent déjà très majoritairement, par elles-mêmes, quotidiennement, depuis des années, pour améliorer leur situation. C’est comme s’il fallait considérer que ces efforts permanents n’existaient pas et qu’il y aurait le temps d’inscrire 15h d’activités, choisies sur catalogue, qui seraient elles, les « bonnes activités à réaliser ». Cette mesure va réduire substantiellement l’espace d’initiative personnelle des allocataires. On peut donc s’interroger : est-ce que le temps passé chez soi à faire ses démarches devra être justifié ? Faudra-t-il être coaché « en salle », signer une feuille de présence pour rentrer dans les clous des heures éligibles ? Le bénévolat associatif devra-t-il être justifié également par des feuilles de présence, alors que d’autres bénévoles qui ne touchent pas le RSA seront libres de s’engager quand bon leur semble ?

Cette stratégie d’accompagnement dit « intensif » présente le risque de renforcer la logique d’infantilisation des personnes, qui sont déjà marquées par des parcours remplis d’embûches, de rupture de droits, de justifications permanentes. Toutes les personnes regrettent la suspicion de fraude, le manque de confiance qui leur est fait, les procédures inquisitrices et blessantes comme l’épluchage des comptes bancaires. Quelle place est laissée, dans ces mesures, au choix, à la confiance, et à la capacité de proposition et d’arbitrage par celles et ceux qui vivent des situations complexes ? Quelle reconnaissance accordons-nous à toutes les personnes qui contribuent déjà, hors de l’emploi, comme soutien de famille, aidant de leurs proches ou comme bénévoles dans les associations ?

30 % des personnes éligibles au RSA n’en font aujourd’hui pas la demande ou y renonce face à la complexité administrative¹. Comment ne pas imaginer que cette réforme va aggraver ce chiffre ? Un risque de décrochage des plus pauvres qui pénalise gravement notre société et qui coûte cher pour notre cohésion sociale, notre système de santé physique et mentale, l’éducation de nos enfants, etc. Est-ce cela l’objectif recherché par le gouvernement : faire de économies sur le dos des plus précaires en les excluant durablement de toute forme de protection sociale ?

« Cette pression institutionnelle s’ajoute aux pressions familiales et sociales que l’on subit déjà lorsqu’on est au RSA. Finalement, pour basculer dans le non-recours, c’est très simple, il suffit, dans une période où vous n’allez pas bien, de ne plus vous rendre sur votre espace Caf, de ne plus remplir le formulaire d’actualisation trimestrielle, de ne pas répondre à une convocation… Ce système est maltraitant et détruit des personnes qui sont déjà fragiles. »

Y, allocataire du RSA

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Le retour à l’emploi ne peut pas être l’objectif central du RSA.

Le RSA n’est pas un outil efficace de retour à l’emploi. C’est ce que rappelait la cour des comptes en 2022². De notre point de vue, le RSA est et doit rester un outil de lutte contre la pauvreté. Son but est que chaque citoyen puisse « obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence»³. C’est un droit, comme celui d’avoir une retraite ou une prise en charge de ses frais de santé.

Parmi les personnes qui touchent le RSA, il y a de nombreuses personnes brisées par la vie, victimes de problèmes graves de santé, d’histoires familiales destructrices, d’accidents du travail… Dire cela ne relève pas du misérabilisme mais du constat que notre société produit des inégalités et des formes de vulnérabilités structurelles qui empêchent certaines personnes de se réaliser, ponctuellement ou durablement dans le travail-emploi.

Le RSA est justement là pour nous permettre, quand cela se produit, de faire face en ayant de quoi vivre, se loger, se soigner, se nourrir. Aujourd’hui, le montant du RSA est de 607€ pour une personne seule. En période d’inflation, c’est plus que jamais un revenu de survie.

L’énergie mise pour former, accompagner, « booster » des personnes doit être en premier lieu reliée à leur rythme, leurs choix, leur capacité à arbitrer ce qui est possible ou souhaitable pour leurs vies. Cela suppose que la société leur fasse confiance et cesse d’imaginer que c’est une situation volontaire et surtout qu’il s’agit d’oisiveté.

Le slogan « nul n’est inemployable » est à la mode, mais le marché de l’emploi a ses propres règles qui s’adaptent encore mal à des vies abîmées (pénibilité du travail, horaires inadaptés, absence de transport ou de mode de garde). D’autres leviers pourraient être activés pour travailler sur l’emploi des personnes vivant la précarité. Quels sont les moyens mis par le gouvernement pour contraindre les entreprises à faire évoluer leur modèle d’emploi : augmentation du SMIC, adaptation des horaires, lutte contre les discriminations ? A ce jour, dans son plan de lutte contre les discriminations, le gouvernement n’envisage toujours aucune sanction financière sur les entreprises repérées pour leurs mauvaises pratiques.

Au lieu de nous attaquer aux personnes, attaquons nous aux racines du problème, c’est à dire aux mécanismes structurels qui maintiennent 3 à 5 millions de personnes hors d’un marché de l’emploi où il existe seulement entre 50 000 et 370 000 postes aujourd’hui disponibles 4.

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Nourrir un autre récit pour une protection sociale solidaire et un revenu minimum garanti

Nous le savons, cette réforme sera un échec d’un point de vue de la lutte contre la pauvreté. En octobre 2020, le Secours Catholique et Aequitaz ont co-signé un rapport « Sans contreparties » qui alertait déjà sur la nécessité de réformer le RSA au bénéfice de la mise en place d’un revenu minimum garanti inconditionnel. Trois années plus tard, comme beaucoup d’autres qui se sont exprimés sur ce sujet, nous n’avons pas été entendus.

Nous ne cesserons pas de rappeler que face à l’ampleur des crises sociales et climatiques qui nous attendent, le temps est venu d’imaginer un système de protection sociale qui prenne davantage en compte l’intermittence du travail-emploi dans nos vies, et la nécessité de reconnaître toutes les formes de contribution à notre cohésion sociale et au soin du vivant. Nous devons gagner des droits pour mieux couvrir les périodes sans travail, qu’elles soient subies pour cause de chômage, de maladie ou de vieillesse, ou qu’elles soient choisies pour s’occuper de ses proches ou se former. Nous devons cesser de pointer du doigt les « sans emploi » et avoir le courage de refuser la brutalité des politiques sociales qui sont en train d’advenir dans notre pays.

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1. https://www.secours-catholique.org/m-informer/nos-positions/droits-sociaux-en-finir-avec-le-non-recours
2. « En matière d’accès effectif à l’emploi,les difficultés des bénéficiaires du RSA restent très importantes . Leur taux de retour à l’emploi, de 3,9 % par mois en 2019, est non seulement très inférieur à la moyenne des demandeurs d’emploi (8,2 %) » Rapport cours des comptes 2022 – synthèse p. 18 – https://www.ccomptes.fr/fr/documents/58385
3. « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situationéconomique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » – Extrait du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946

4. Axelle Brodiez Dolino, le 27 avril 2023 sur France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-tempsdu-
debat/rsa-solidarite-sous-quelles-conditions-4815792

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